Publié le 13 juillet 2004 - Par Frédéric Guégan

BLEEP, ou la musique vue par Vincent Nayrolles

Manager d'artiste, une occupation désormais à plein temps pour Vincent Nayrolles

Vincent Nayrolles
BLEEP

N- Bonjour Vincent ! Tu inaugures les interviews d’anciens évoluant dans la musique. Nous sommes ici dans les locaux de Bleep, ta société. J’aimerais savoir si ton choix d’aller vers la musique existait déjà bien avant le DESS…

V- Pas vraiment. J’ai eu un parcours de « gestionnaire » : prépa HEC, l’ESC Rouen suivi de 2 ans comme auditeur comptable dans un cabinet d’audit à la Défense. Une expérience de l’extrême en quelque sorte !
J’étais bien sûr passionné de musique à cette grande époque de la techno et des raves…belle époque !

La volonté de sortir un peu du monde de l’audit pour aller vers la musique m’a poussé à prendre contact avec des maisons de disques qui m’ont toutes répondu la même chose : on veut bien vous accueillir comme stagiaire mais avec une convention de stage. C’est la raison pour laquelle j’ai cherché à intégrer un DESS. J’ai postulé au DESS de gestion des institutions culturelles de Dauphine et ce n’est que par hasard que j’ai pris connaissance du DESS de Sabatier.

Je suis donc admis au DESS en 1997. Ayant déjà travaillé, j’ai la chance que Daniel Sabatier soit d’accord pour me fournir une convention de stage dès début Décembre 98. J’entre alors chez LABELS, le label de VIRGIN qui produit notamment Daft Punk, Yann Tiersen, Moby ou Dominique A.

J’assiste le label manager Techno. Après 4 mois, une opportunité se présente pour travailler chez WARNER Classique-Jazz-Musique du Monde et Musiques de films.
Il s’agit d’une sorte de stage rémunéré qui me permet d’agir comme bras droit du N°2, Hervé Boissières sur des terrains assez variés.
Expérience passionnante. Je m’occupe de promo, de marketing, de management, de spectacles…et pas mal d’autres choses assez amusantes ! Je reste 1 an à ce poste.

J’ai alors la chance que mon patron me propose de monter une boîte avec lui, « CONTAGION » qui allait se consacrer au développement musical, en particulier au management et à l’édition, l’idée étant de suivre tout le champ de diffusion de la musique des artistes que nous décidions d’accompagner (Classique et Electro).

Une fois la société mise en place, nous avons quitté WARNER et je suis naturellement devenu le gérant de la structure.

Nous avons même par la suite développé un département consacré à la création multimédia qui avait un positionnement haut de gamme. Avec pas mal de belles réussites. L’idée était de faire avant tout du beau travail (graphisme, animation…).

A la suite de divergences avec mon associé, je décide de céder la marque et mes parts à NAÏVE et recrée une autre société, BLEEP, avec le contenu de CONTAGION. Nous sommes fin 2000-début 2001.

Avec la volonté de prendre le temps de développer BLEEP, je cherche parallèlement un boulot stable et entre chez V2 au service de la promo presse. V2 est le label crée par Richard Branson après la vente de Virgin à EMI.
Quelques idées de la « couleur » du label : quelques stars (Isabelle Boulay, Passi, Billy Crawford…), beaucoup d’artistes et de labels pop et rock indépendants (Grandaddy, Mercury Rev, Underworld, Paul Weller…), et de plus en plus de musiques du monde (Luaka Bop, Mento Madness, Toots & The Maytals…).

Ce travail amusant et plutôt confortable me permet de continuer à gérer ma société.

Il y a quelques mois, un changement de direction à V2 intervient. La nouvelle dynamique et la nouvelle politique de signatures bouleverse l’équilibre entre mon boulot salarié et mon activité indépendante. Ceci accélère ma décision de quitter la structure et de me consacrer intégralement à BLEEP.

N – Choisir cette indépendance dans un marché très difficile aujourd’hui appelle quelles réflexions de ta part ?

V- La période n’est certes pas très glorieuse pour les maisons de disques en ce moment. Pourtant, il me semble qu’il s’agit plutôt d’un retour à une situation normale après la bulle explosive des années 90. Il ne faut pas tout mélanger : il se passe beaucoup de choses nouvelles dans la création musicale sur lesquelles il est passionnant de travailler.

N- Pour quoi ce nom, BLEEP ?

V- Parce que c’est un nom absurde ! En fait, cette onomatopée est le bruit que produit une machine analogique.

N- Et quelleidée directrice guide BLEEP ?

V- Toujours cette même idée d’accompagner des artistes dès la source et de leur offrir une diffusion de leur musique la plus large possible.
Avec les artistes que je manage, j’envisage le disque surtout comme une vitrine qui offre un repère dans le temps. L’objet disque n’est pas forcément la finalité. Peut-être une finalité artistique, mais plutôt le moyen de trouver ailleurs une réalité économique.

Par exemple, READYMADE FC (rencontré à l’époque ou je travaillais sur le projet de remixes de Steve Reich chez WARNER) : je l’avais signé en management et édition dans ma 1ère société (ce qui se fait assez peu). Il avait déjà un label pour les sorties discographiques.
Aujourd’hui chez BLEEP, j’agis uniquement. en tant que manager pour lui.
READYMADE FC a un label, un éditeur et un manager.
Une partie de mon travail consiste à faire le lien entre lui et les autres intervenants.

En ce moment, mon quotidien repose sur la direction artistique et la production exécutive de son 2nd album. J’ai un conseil juridique externe même si je négocie les termes généraux des divers contrats.

N- Tu travailles seul ?

V- Oui

N- Et que fais READYMADE FC en ce moment ?

V- Il est au Japon pour quelques concerts. Après la sortie de son premier, Hedi Slimane (Dior Homme) lui avait commandé deux fois de suite les musiques originales de ses défilés (Beck vient de composer la toute dernière). C’est une des raisons pour lesquelles il est populaire au Japon.
Cet été, il sera en studio pendant tout le mois d’Août.

N- Et à part lui ?

V- J’ai signé il y a quelques mois un jeune artiste islandais très inspiré par la musique électronique de Detroit et Berlin. Je l’ai rencontré à l’occasion d’un festival en Finlande.
Nous venons de lui trouver un label : Mental Groove, un des labels de musique électronique les plus côtés aujourd’hui.
Il est probablement moins « grand public » que Readymade FC, mais les branchés, les milieux de la mode et de l’art contemporain, etc… vont adorer.

Quant a Readymade FC, c’est un peu comme si j’avais plusieurs artistes à la fois. En effet, sous le nom de Jean-Philippe Verdin (son vrai nom…), il travaille aussi comme compositeur, arrangeur et compositeur pour d’autres artistes tels La Grande Sophie, Etienne Daho ou Luz Cazal.

Je l’accompagne aussi sur ce travail pour le démarchage, les contrats ou l’artistique.

En plus de la musique, READYMADE FC tend à devenir une marque qui lui offre une belle notoriété : au Japon, il va être l’égérie de LEE JEANS pour la saison automne/hiver 2004/2005. Je gère également toute cette partie.

Ce qui est intéressant, c’est qu’un projet qui n’est à priori pas grand public peut devenir vraiment rentable. Pour READYMADE FC, les synchro ont entre autres exploitation secondaires, très bien valorisé le travail de l’artiste. Coca Cola Light en France, Sky TV ou Channel Four en Angleterre ont par exemple choisi d’utiliser des titres tirés de l’album pour illustrer leurs campagnes.

N- Et quelle rémunération pour BLEEP là-dessus ?

V- En France, un manager touche 15 à 20% des revenus de l’artiste.

N- Comment envisages-tu l’évolution de BLEEP ?

V- Plus que jamais du management, de la direction artistique et du conseil musical. Toujours en restant proche des artistes qui ont des choses à créer et à dire. De l’artisanat en somme.

Malgré la crise avérée du marché du disque, la musique se porte très bien. Disons simplement que les sources de financement sont en train de changer de mains… Après avoir semé ce qu’elle récolte aujourd’hui, l’industrie du disque panique. Et que révèle cette crise industrielle ? Que derrière les discours édifiants sur l’exception culturelle, c’est une industrie comme les autres dont la plupart des dirigeants ne sont pas toujours clairvoyants, ni visionnaires…

A mon avis, un des gros souci des maisons de disques repose sur un problème fondamental de direction artistique, puis de marketing : de mauvais artistes, mal conseillés, et mal positionnés. Celles-ci réalisent trop souvent de très lourds investissements sur des produits sans aucune logique économique ou artistique. Ou inversement n’investissent pas assez ou pas au bon moment et au bon endroit.
Certains petits labels plus souples et plus pertinents trouvent leur économie dans des niches.

Ce que je ressens aujourd’hui, derrière l’absence de mouvement émergent (comme le rock dans les années 50, la pop dans les années 60, le punk à la fin des années 70, le hip-hop et la techno dans les années 80), c’est une crise de l’offre et le manque de vrais artistes avec une véritable intention et une vraie singularité.

Ou peut-être simplement y a-t-il autant de vrais musiciens qu’autrefois, mais noyés dans une surproduction de disques médiocres, jetables ou inutiles.
Quoiqu’il en soit, nombre d’ artistes de cette nature peuvent s’inscrire dans une logique économique viable, hors les circuits traditionnels de promo TV-Radio.

Certaines maisons de disques sont désemparées car la manière de rémunérer les artistes évoluant, une grande partie de ce qu’ils maîtrisaient leur échappe.
Il me semble que les nouvelles technologies peuvent aider à revenir un peu au fonctionnement des années 60, un fonctionnement plus fluide, plus souple, une autre manière d’envisager la production musicale.

N- Quel est ton rapport au téléchargement de musique par internet ?

V- En tant qu’amateur de musique, vous avez à portée de mains une discothèque extraordinaire, dont les ressources sont infinies. On peut découvrir des tas de musiques introuvables autrement en France. N’oublions pas que notre beau pays, par ailleurs très littéraire, n’a aucune véritable tradition musicale, contrairement aux Etats-Unis, à l’Angleterre ou à l’Allemagne. Le statut de la musique dans le DESS est à cet égard symptomatique : la musique, c’est bien gentil, mais ce n’est pas très sérieux. Bref, c’est le paradis des mélomanes.

Autrement dit, je suis un pirate, donc un criminel…
Je continue par ailleurs à acheter beaucoup de disques. Quelques CDs, quand le packaging et le livret sont soignés, c’est a dire quand on trouve plus que ce qu’on aurait en téléchargeant. Et surtout, beaucoup de vinyles, qui quoiqu’on en dise, ont un grain, une densité, une texture supérieure au CD, et qui font la joie des collectionneurs…

En tant que professionnel (et artisant), c’est un formidable outil de communication pour les artistes que je représente. Pratique, simple, économique. Certes, nous traversons une période d’ajustement quand à perception des droits d’auteurs, mais tout devrait entrer bientôt dans l’ordre.

N et I- Quand nous voyons toutes ces rangées et piles de disques dans ton bureau, nous avons envie de te demander quels sont les premiers disques que tu as acheté

V- Difficile de me souvenir. Dans mon enfance, j’écoutais ce qu’écoutait mon père, Léonard Cohen et les Pink Floyd notamment. Mon 1er album acheté ? Je ne sais plus. Etant né en 1973, il faudrait que je fasse un travail de mémoire sur l’époque !

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N- Quelques questions plus libres maintenant…

Tes artistes les plus chers ?

V- Dylan, Neil Young, Brian Wilson (des Beach Boys), Coltrane et…Bach, Ravel, Debussy…

N- Et aujourd’hui, tu écoutes quoi ?

V- J’avale environ 10 heures de musique par jour. Plein de nouveautés, de maquettes, de choses que je ne connais pas. Je dois avouer que depuis le hip-hop et l’electro, je n’ai pas eu le sentiment de découvrir quelque chose de vraiment nouveau. J’écoute encore un peu de hip hop et de R&B. Enormément de pop des années 60 (l’age d’or), de folk, de rock. Et toujours un peu d’électronique bien sûr, mais des débuts et du classique. Comme un vieux con, quoi… Parmi les derniers albums qui m’ont marqué : PJ Harvey, Patti Smith, Liars, Johnny Cash, Daniel Darc…

N- Tu te promènes dans beaucoup de festivals ?

V- Oui. Moins qu’avant car je vieillis. A l’époque, j’assistais aussi à de nombreux concerts de classique et d’opéra.

I-Et tes enfants, tu leur donneras des noms de chanteurs ?

V- Johnny…et Michèle, bien sûr !!!

N- Si tu devais vivre dans une ville ?

V- Berlin

N- Des romanciers ?

V- Proust

N- Le sport ?

V- Ah oui ! je pratique le full contact (boxe américaine) et le ski.

I-Ta femme idéale ?

V- Sans hésiter : Uma Thurman ou Gene Tierney

N- Des projets pour cet été ?

V- Je le passerai en studio avec Jean-Philippe (READYMADE)

MERCI !

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