Le dernier petit-déjeuner du MediaClub a réuni un panel d’experts du secteur audiovisuel, des créateurs et des spécialistes en droit pour une discussion approfondie autour de l’impact des outils d’intelligence artificielle (IA) générative sur la créativité, la propriété intellectuelle et l’avenir de la production audiovisuelle. Cet événement a été l’occasion de discuter des défis juridiques, des questions éthiques et de l’impact environnemental que ces nouvelles technologies suscitent dans le monde de la création.

L’IA : un outil ou un créateur ?
L’une des questions les plus marquantes de ce petit-déjeuner a porté sur la place de l’intelligence artificielle dans le processus créatif. Est-ce que l’IA peut être créative ? Certains des intervenants, notamment Nastasia Hadjadji, journaliste et spécialiste du numérique, ont souligné que l’IA, bien qu’étant capable de générer du contenu, n’est en réalité qu’un outil au service des créateurs. L’IA génère des idées ou des productions à partir de paramètres définis par l’humain. Cependant, cette idée de l’IA comme simple outil a été remise en question par plusieurs participants.
Certains ont rappelé que, dans de nombreux cas, l’IA générative est utilisée pour pallier des difficultés créatives, telles que la page blanche ou le manque d’inspiration. L’IA aide à « démarrer » un projet en générant des idées de manière rapide et parfois efficace. Mais l’idée de la créativité réelle a été mise en lumière par des scénaristes, qui ont insisté sur le fait que l’IA ne fait que reprendre des données et des idées préexistantes, sans véritable processus créatif humain. Pour certains, ces outils ne sont pas encore au service de la créativité proprement dite, mais plutôt de la productivité.
Un point crucial soulevé par Julien Tricard, producteur et cofondateur de Lucien TV, a été que les outils d’IA peuvent générer un risque pour les métiers créatifs en général. Par exemple, des professions telles que la traduction ou le doublage sont déjà impactées, les traducteurs étant souvent moins bien rémunérés, voire remplacés par des machines. Ces outils, selon Julien, favorisent un gain de productivité mais au détriment de la richesse créative que seuls les humains peuvent apporter.
Propriété intellectuelle et IA : Qui détient les droits ?

Une autre question essentielle abordée a été celle des droits d’auteur. L’impact de l’IA sur les droits de propriété intellectuelle est un sujet complexe et encore flou. Si l’IA peut générer du contenu de manière autonome, qui en est le véritable auteur ? Alain Moreau, scénariste, et Denis Goulette, avocat, ont souligné qu’aucune réglementation claire n’encadre l’utilisation des œuvres existantes pour entraîner des IA génératives. Ces technologies alimentent leurs modèles sur des données existantes, qu’elles soient des films, des livres ou des œuvres artistiques, sans la permission des créateurs originaux.
Denis, représentant la Fédération des scénaristes européenne a souligné que cette question pourrait conduire à des batailles juridiques importantes dans un avenir proche. L’IA pourrait notamment générer des textes ou des scénarios à partir de données protégées par des droits d’auteur, ce qui pourrait entraîner des violations de propriété intellectuelle. Aujourd’hui, certains cas de jurisprudence ont déjà abordé la question de l’originalité dans le domaine de la photographie, où les créateurs sont obligés de prouver qu’ils ont apporté leur « empreinte » sur les œuvres qu’ils ont créées. La même question pourrait bientôt se poser pour des scénarios générés par IA : comment prouver qu’un script est original quand il a été partiellement ou totalement écrit par une machine ?
L’impact environnemental de l’IA générative
Au-delà des questions juridiques, le cas de l’impact environnemental de l’utilisation de l’IA a également été mentionné . Plusieurs participants ont attiré l’attention sur la consommation énergétique massive générée par l’utilisation d’outils d’IA générative. L’exemple d’une simple génération d’image faite par IA, qui consommerait l’équivalent de la moitié de la batterie d’un smartphone, a été donné pour illustrer l’énorme empreinte écologique de ces technologies.
Les critiques ont notamment mis en lumière l’usage intensif de ressources naturelles et d’énergie pour alimenter les centres de données nécessaires à l’entraînement des IA. Cela pose un double défi : d’une part, une surconsommation d’énergie qui pourrait nuire aux objectifs climatiques mondiaux, et d’autre part, une exploitation accrue des terres rares, qui sont extraites dans des conditions écologiquement et éthiquement problématiques. L’exemple des géants technologiques comme Microsoft, qui s’installent près de centrales nucléaires en Allemagne, a été cité pour montrer l’ampleur du problème.
Le manque de prise en compte de ces enjeux environnementaux dans la course à l’innovation technologique a été un point central de discussion, avec des appels à une régulation plus stricte et à une réflexion sur la manière dont ces technologies affectent la planète à long terme.
L’IA au service de la productivité ou de la créativité ?

L’industrie audiovisuelle est un milieu extrêmement compétitif. Se pose donc des questions d’efficacité et bien sûr de rentabilité. Les producteurs, comme Julien, ont expliqué que face à des exigences de plus en plus pressantes de la part des diffuseurs et des plateformes de streaming, l’IA est devenue un outil précieux pour accélérer le processus de création de contenu. Que ce soit pour générer des teasers, des maquettes, des images de reconstitution ou des synthèses de projets, l’IA permet de réaliser rapidement des tâches qui, dans le passé, prenaient des heures voire des jours de travail. Cependant, cette rapidité et cette efficacité posent aussi des questions : est-ce que cela conduit à une standardisation des œuvres, au détriment de la diversité et de la créativité ?
Julien a partagé son expérience de l’utilisation de l’IA dans le cadre de projets de production, précisant qu’il a testé des outils génératifs pour créer des musiques ou des scénarios, mais a choisi de ne pas les utiliser pour des productions finales. Cela a soulevé une autre question importante : à quel point les créateurs sont-ils prêts à utiliser l’IA dans leurs processus créatifs ? Si l’IA peut fournir des solutions rapides et efficaces, cela n’empêche pas les créateurs de rester attachés à une approche plus traditionnelle, où l’humain reste au centre du processus.
L’importance de la régulation et de la transparence
Un autre aspect fondamental de la discussion a porté sur la régulation de l’IA. Denis Goulette a insisté sur l’importance d’établir des régulations claires et des protections pour les créateurs. Il a évoqué le AI Act européen, qui, bien qu’encourageant le progrès, a été critiqué pour ses lacunes en matière de transparence et de protection des droits des créateurs. Par ailleurs, le débat a mis en lumière la complexité du cadre juridique actuel, qui semble encore loin de protéger adéquatement les créateurs dans un environnement numérique où leurs œuvres peuvent être utilisées sans leur consentement.
Les discussions sur l’intégration des IA dans l’industrie créative soulignent l’urgence de créer des systèmes de rémunération équitables et de garantir que les créateurs, qu’ils soient scénaristes, musiciens, ou photographes, soient correctement compensés pour les œuvres utilisées pour entraîner ces modèles.
Le petit-déjeuner du MediaClub a mis en lumière la complexité des enjeux liés à l’IA dans le secteur créatif. Si l’IA peut être un formidable outil pour optimiser les processus de production, elle soulève également des questions cruciales sur la propriété intellectuelle, la transparence, la sécurité des données, ainsi que l’impact environnemental. Le débat sur la créativité et l’originalité est loin d’être clos, et il est essentiel de continuer à réfléchir collectivement à la manière de réguler l’utilisation des IA afin de protéger les créateurs et l’environnement, tout en permettant l’innovation et ce, sans tomber dans une dépendance de son utilisation.
Il est clair que l’avenir de l’IA générative dans l’audiovisuel et d’autres secteurs créatifs dépendra largement des décisions politiques et juridiques qui seront prises dans les années à venir. Il faut donc continuer à allier créativité, innovation, et régulation pour garantir un avenir équitable et durable pour tous les acteurs de la chaîne de production.