Publié le 7 janvier 2014 - Par la rédaction

Retour sur le 02/12/2002 – Daniel Sabatier est fait chevalier de la Légion d’honneur, discours intégral

Daniel Sabatier, Fondateur du DESS Droit et Administration de la Communication Audiovisuelle, reçoit le 2 décembre 2002 la Légion d’honneur qui récompense les mérites éminents rendus à la nation. A cette occasion, nous vous proposons de découvrir ou de redécouvrir son discours en intégralité.

 

« Je n’aurai pas la coquetterie de jouer l’indifférent ; même si, dans certains milieux, il est de bon ton de brocarder quelque peu les valeurs traditionnelles, je vous le dis tout net, je suis ravi de recevoir la légion d’honneur.

Il y a peut-être en nous un fond de vanité qui nous fait aimer les distinctions. Je dois le confesser, très jeune, au petit lycée du Caire, je rêvais de porter le coq gaulois, la médaille qui récompensait le meilleur élève de la semaine. Si j’obtins souvent le brassard rouge, réservé au plus sage, je n’eus qu’une seule fois le coq et ne l’arborai qu’un seul jour, je le perdis dans le désordre qui m’est coutumier.

Plus sérieusement, recevoir une décoration est un événement qui vous interpelle, vous impose un retour sur vous-même. Qu’avez-vous réalisé, anonyme parmi les anonymes, pour qu’on braque sur vous le feu des projecteurs ? Un rapide bilan conduira naturellement à reconnaître que l’on ne s’est pas fait tout seul, les autres, parents, amis, institutions, vous ont aidé à devenir ce que vous êtes.

Je ferai donc une rapide introspection, même si André Ladousse vous a longuement expliqué les raisons de ma présence ici ce soir.

Comme vous le savez la légion d’honneur a été créée par Bonaparte pour récompenser les mérites militaires. Mes contacts avec l’armée furent des plus brefs et ne dépassèrent pas la durée du conseil de révision. Mes 48 Kg et mon éducation orientale ne me permirent pas de m’illustrer dans ce domaine.

Mes débuts dans la vie active comme expert-comptable furent presque aussi brefs : un jour de mai 68 je m’évadais de l’entreprise dont je contrôlais les comptes pour rejoindre dans la rue les manifestants.

Ma carrière à l’Université fut en revanche un grand moment de bonheur. Enseigner l’histoire du droit à de petits parisiens ne manquait pas d’humour : moi le Cairote, j’étais pour eux, la mémoire de la France. Et ma thèse me replongeait en Egypte, mais au XVIII siècle et du côté français. J’y travaillais avec ardeur, escomptant bien un jour réaliser une œuvre. Cette ambition fut brisée net quand ma mère, inconsolée de ne pas avoir de fils expert-comptable, me demanda naïvement ce que j’avais trouvé après tant d’années de recherche. Je compris alors que j’avais écrit mes œuvres complètes.

La création du DESS vint alors occuper ma disponibilité. J’avais pour objectif de devenir expert en économie ou en droit de la communication. Aux premières rencontres avec des professionnels, je compris que mon pré carré ne se situait pas là où je pensais. Si je voulais réussir ma reconversion, il valait mieux comprendre le fonctionnement de l’audiovisuel, en matière de formation, de recrutement et d’emploi.

Le reste est bien connu de vous tous. Je n’y reviendrai pas.

J’aimerais toutefois évoquer devant vous ce qui dans la philosophie du DESS relève essentiellement de mon histoire.

Mon arrière-grand-père était tailleur à Smyrne, il y confectionnait les gallabieh (gellabas en français) pour les pachas et les beys. Mon grand-père tenait au Caire une boutique à l’enseigne du « petit bénéfice ». Ma culture familiale ne me poussait donc pas à la production industrielle. Je refusais l’uniforme taillé toujours trop grand ou trop court. Je voulais pour mes étudiants du « sur mesure », je voulais que le DESS leur colle à la peau. Je privilégiais donc le parcours individuel.

De l’Orient, j’ai conservé le goût de l’échange primitif, du don et du contre-don, de la colonie britannique, la nostalgie des clubs, de l’affectio societatis qui lie tous ses membres. J’ai toujours pensé qu’un fort sentiment d’appartenance conférait au groupe sa durée ; plus que les liens d’amitié ou de camaraderie. Le DESS est ainsi devenu une tribu, une véritable famille ; Peut-être aussi parce que je suis à mille lieues de l’esprit administratif où excelle le tempérament abstrait du Français de métropole. Il faut dire que nous sommes le seul pays à avoir transformé nos étudiants en « usagers du service public de l’enseignement » et où l’on ne parle d’affectio societatis qu’en droit des affaires.

Enfin, j’ai toujours été fasciné par les jardins zoologiques, par ces espaces restreints où toutes les espèces animales cohabitent. Au DESS, j’ai voulu rassembler tous les genres : du financier retors à l’imaginatif fou, du juriste organisé au manieur de concepts et de mots.

Chaque année, en allant faire mon marché, j’ai toujours veillé à choisir les produits les plus divers afin de pouvoir satisfaire toute ma clientèle. Bien loin de moi l’idée de vouloir formater mes étudiants, les rendre interchangeables pour les vendre au poids. Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir formé 35 tonnes d’étudiants mais 646 individus, avec lesquels j’entretiens une relation particulière, une relation unique.

Cet amour de la diversité, mes calomniateurs diront qu’il s’arrête à la couleur des cheveux. N’était-ce pas Louis XIV qui aurait dit sur son lit de mort :  » j’ai trop aimé les blondes  » ? Je ne pense pas avoir commis d’injustice, quand je vois devant moi ce parterre parsemé de taches brunes et de calvities avancées. J’arrête là ma recherche d’antécédents glorieux pour vous raconter une histoire, une histoire de miracle.

Je suis ici à Paris, qui reste pour moi le centre du monde, au quartier latin qui est le cœur de Paris, à la Sorbonne qui est le saint des saints pour tous les intellectuels cosmopolites. J’aurais pu être aujourd’hui au Brésil et m’appeler Sabataz, courtier d’une société import-export, ou Shaptale expert-comptable américain ou australien.

Si je suis ici en Sorbonne, je le dois à une institution injustement décriée : l’école, et à une institution particulière peu connue, la mission laïque française.

Je voudrais braquer quelques instants la lanterne magique sur ce lycée français du Caire qui a su transformer en petits Français tant de jeunes garçons, sans patrie, ou construits de patries emboîtées les unes aux autres comme des poupées russes.

Par ce choix leur destin a basculé, il leur a donné des ailes. Certains sont rentrés dans de grandes écoles, d’autres dans les Facultés, tous ont réalisé de solides carrières d’ingénieurs, de cadres supérieurs ou parfois d’artistes.

Pour comprendre ce lycée, permettez-moi encore une anecdote. De retour au Caire après une absence d’une bonne quarantaine d’années, un ami, visiblement ému, demanda la permission de visiter le lycée. « Mais qu’a donc cette école, s’étonna le directeur, pour attirer chaque année tant d’étrangers, de France, d’Amérique, du Brésil ou d’Australie qui viennent se promener dans la cour les larmes aux yeux. »

Le choix de ce lycée a été déterminant dans notre vie, car il impliquait au-delà d’une langue, une culture.

Dans mon cas, l’adoption du français se fit de manière curieuse. Chez nous c’était Babel, ma mère nous parlait en français, ma grande mère en italien, mon père en grec, mes grandes tantes en espagnol et naturellement ma doudou en arabe. Devant cette cacophonie, je me réfugiais d’abord dans le silence. Puis j’inventais une langue que seule ma sœur comprenait. Je devins l’idiot de la famille. Je surpris tout le monde, un soir de Noël à l’âge de 4 ans bien entamés, lorsque je dis à ma cousine, en bon français : « ne touche pas à mes jouets » Depuis je ne m’exprime que dans la langue de Molière. J’ai horreur de parler le sabir si j’essaye d’en utiliser une autre. Ma première rencontre avec la France eut lieu en classe de 12 elle prit la forme d’une jeune femme, mince, blonde, élégante : mon institutrice ; coïncidence troublante, elle s’appelait Madame Sabatier.

En classe, elle nous fit découvrir à travers les histoires de Toto, Lili et du chien Médor les infinis possibles du langage et du raisonnement. C’était une révélation. Chez nous l’usage de « mots verglas » faisait déraper les sujets de conversation toutes les 30 secondes. Je fis alors très vite le choix de la France et depuis cette conviction ne s’est jamais démentie.

Il faut dire que la culture française repose sur de grandes valeurs que nous ne percevons guère tant elles font partie de notre paysage.

Notre conception de la nation est ouverte et généreuse. Alors que pour la plupart des peuples, elle est fondée, explicitement ou non, sur la filiation, les liens de sang.

En France, on privilégie à la fois le désir de vivre ensemble et la volonté d’assumer un passé commun, c.à.d accepter les mythes fondateurs. Ce qui fait dire à un ami d’enfance : un Français par choix est un Français de choix. La laïcité est une autre valeur fondamentale qui dépasse largement la séparation de l’Eglise et de l’état ou la division du profane et du religieux. Elle marque la distinction entre vie publique et vie privée, espace du citoyen et espace de l’individu. A l’extérieur, grain de sable parmi les grains de sable, à l’intérieur, un être unique et libre ou pour le dire en français d’Egypte la gallabieh ne doit pas dépasser du pantalon. Magnifique machine à intégration.

Rassurez-vous je ne vous ferai pas un cours d’histoire, j’ajouterai simplement deux particularités françaises qui me tiennent à cœur et vous comprendrez pourquoi : le rôle important dévolu aux intellectuels dans notre société, et enfin la valorisation du service de l’état. Avant de terminer, je voudrais remercier, Monsieur le Recteur qui nous a permis de nous réunir ce soir, mon Maître le regretté Professeur Besnier qui m’a donné le goût de l’histoire et permis d’enseigner ici,

Les intervenants et en particulier Linant de Bellefonds, L2B comme on l’appelle, notre doctor informatique, qui a le double défaut d’être historien du droit et d’être né au Caire, les entreprises qui m’ont toujours soutenu, diffuseurs, producteurs, distributeurs, et surtout mes 646 étudiants sans lesquels je serais sans doute aujourd’hui en train de passer des écritures comptables.

Je voudrais saluer aussi ceux qui ont participé à la création du DESS : En particulier : Souné Wade, alors Directeur d’Interaudiovisuel et qui était l’inspiratrice et la cheville ouvrière du projet.

Patrick Imhauss, alors directeur de l’audiovisuel au Quai d’Orsay, qui nous a aidé à bâtir le projet et nous a poussé à voir grand, à ne pas se contenter d’une UV cachée dans un cursus, mais à concevoir une véritable formation. Il a su en plus convaincre Monsieur Georges Fillioud de la valeur de notre travail. Et naturellement je salue M. Georges Fillioud lui-même qui nous a donné l’exequatur et Catherine Tasca qui a eu la gentillesse de soutenir notre formation en venant à chacune de nos rentrées solennelles.

Enfin, et c’est plus personnel, je voudrais remercier mon épouse qui m’a servi de psychanalyste pendant toutes ces années où mes galopins d’étudiants voulaient conserver le privilège de la jeunesse. Et mon ami André Ladousse qui me permet d’avoir sur la boutonnière le petit ruban rouge que mes parents n’auront pas eu l’occasion de voir. Encore un petit mot avant de faire exploser le champagne, pour vous dire qu’après « ces 20 ans de DESS, Sabatier part en grandes vacances et remet les clefs du DESS à François Garçon qui le fera vivre 100 ans. »

                                         Daniel  Sabatier.

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